SNETAP-FSU

Syndicat National de l’Enseignement Technique Agricole Public

Accueil > Les Dossiers > Égalité professionnelle - Diversité > L’égalité filles garçons dans l’enseignement agricole : quelles spécificités (…)

L’égalité filles garçons dans l’enseignement agricole : quelles spécificités ? Quels écueils ? Quels leviers pour agir ?

mercredi 5 février 2025

Enregistrer au format PDF

Regards croisés de la Haute fonctionnaire à l’égalité des droits, Naïda DRIF DRIF Délégués régionaux à l’ingénierie de formation. -LAMIA et du chercheur en sociologie, Joachim BENET-RIVIERE*, sur les problématiques liées à l’égalité filles garçons dans l’enseignement agricole.

SNETAP-FSU FSU Fédération Syndicale Unitaire  :

Le premier sujet abordé concerne la prégnance des inégalités entre filles et garçons dans l’enseignement agricole public (EAP EAP Enseignement Agricole Public
ou
Emploi d’avenir professeur
). La question est de savoir si ces inégalités sont réellement marquées, en quoi elles se manifestent, et s’il existe des enjeux spécifiques à l’EAP, notamment par rapport à l’Éducation nationale et plus particulièrement à l’enseignement professionnel. Qui souhaite commencer ?

Naïda DRIF DRIF Délégués régionaux à l’ingénierie de formation. -LAMIA :

À mon sens, le sujet de l’égalité filles-garçons n’est pas plus prégnant dans l’enseignement agricole public, ou même privé, qu’à l’Éducation nationale. Cela dit, une convention interministérielle, copilotée par les ministères de l’Égalité femmes-hommes et de l’Éducation nationale, atteste que cette problématique existe bel et bien dans les filières professionnelles en général. Les dynamiques sont similaires entre l’Éducation nationale et l’enseignement agricole, qu’en pense Joachim BENET-RIVIERE ?

Joachim BENET-RIVIERE :
Effectivement, les logiques d’inégalités de genre sont globalement les mêmes dans l’enseignement agricole public et privé et dans l’école en général. Ces inégalités se traduisent par une répartition genrée des filières : le secteur tertiaire est majoritairement investi par les femmes, tandis que les filières liées à la production agricole sont largement dominées par les hommes. Bien qu’il existe des filles et des garçons "minoritaires de genre" dans ces espaces, l’enseignement agricole reproduit certaines inégalités structurelles.
Par exemple, on observe une distinction marquée entre les lycées agricoles et les Maisons familiales rurales (MFR). Ces structures ne proposent pas les mêmes perspectives sociales et professionnelles. Historiquement, les MFR, souvent privées, ont accueilli davantage de filles, car elles offraient des formations en services aux personnes. Dans le même temps, les lycées agricoles, majoritairement publics, comptaient plus de garçons et proposaient des filières conduisant à des métiers de la production.

Cette répartition trouve ses origines dans des luttes historiques en milieu rural. Les filles étaient souvent scolarisées dans les MFR sous l’influence d’une logique où l’Église voyait en elles un vecteur de lien entre la famille et la religion. Cette dualité a laissé des traces durables.
Aujourd’hui, il faut noter que les lycées agricoles, grâce à leurs filières générales et technologiques, offrent aux filles un accès à l’enseignement supérieur long. Cela diffère des MFR, où les formations, souvent courtes, se cantonnent à des métiers traditionnellement féminins. Toutefois, ces distinctions de genre ne concernent pas uniquement les filles et les garçons, mais aussi les filles elles-mêmes, en fonction de leur origine sociale.

SNETAP-FSU :
C’est intéressant. Pouvez-vous détailler cet aspect des origines sociales ?

Joachim BENET-RIVIERE :
Bien sûr. Les filles dans l’enseignement agricole ne forment pas un groupe homogène. Les recherches montrent que celles issues de milieux précarisés, souvent des classes populaires, sont surreprésentées dans les filières de services aux personnes, majoritairement dans les MFR. Ces filières, en renforçant les inégalités sociales initiales, limitent souvent leur accès à l’enseignement supérieur long.
En revanche, les filles du Public proviennent davantage de fractions populaires stabilisées ou de familles indépendantes. Elles réussissent mieux scolairement et parviennent ainsi à accéder à des postes de cadres. C’est un effet de la massification scolaire des dernières décennies. Aujourd’hui, les femmes investissent davantage les fonctions de cadre, un domaine auparavant réservé aux hommes et l’enseignement agricole public contribue à cette évolution.
Cependant, il est vrai que les élèves des MFR peuvent également connaître une certaine mobilité ascendante, par exemple via des BTS BTS Brevet de technicien supérieur ou des concours de la fonction publique. Mais cela reste différent de l’accès à des formations longues.

Naïda DRIF-LAMIA :
Tout cela reflète l’histoire de notre système éducatif. Vous avez raison, les MFR, en se concentrant sur les formations ménagères jusqu’aux années 70, ont limité l’accès des filles à des perspectives plus larges. Aujourd’hui, les lycées agricoles publics permettent davantage de lutter contre ces stéréotypes de genre, même si le système doit encore évoluer.

Joachim BENET-RIVIERE :
Un autre point important est le lien entre l’origine sociale et les orientations professionnelles. Si la proportion d’enfants d’agriculteurs est faible dans nos établissements, l’origine agricole ne se limite pas à la profession des parents. Beaucoup d’élèves ont été socialisés dans ce milieu via des grands-parents ou d’autres membres de la famille, ce qui influence leurs choix. Cela s’ajoute au clivage filles/garçons, où les filles sont sous-représentées dans les filières agricoles. Dès les années 60-70, les filles des MFR étaient souvent issues de familles d’employés ou d’ouvriers, montrant une ouverture sociale, mais au prix d’une reproduction des inégalités de genre.

SNETAP-FSU :
Vous avez évoqué la répartition genrée par filière, mais pour ce qui concerne les stéréotypes ou bien les relations entre élèves au sein de l’enseignement agricole, qu’avez-vous pu constater ?

Joachim BENET-RIVIERE :
C’est une question très large et il y aurait beaucoup à dire. D’ailleurs, je réalise que dans ma réponse précédente, j’ai oublié de mentionner une évolution importante : celle des effectifs des filles et des garçons dans l’enseignement agricole. On observe actuellement un léger mouvement de « remasculinisation » de ces formations.
Une collègue, Sabrina Dahache*, a d’ailleurs travaillé sur la féminisation de l’enseignement agricole dans les années 2000. Elle montrait alors que les filles devenaient majoritaires dans ce domaine. Cependant, depuis environ une décennie, la tendance s’est inversée. La proportion de filles a diminué, ce qui s’explique davantage par des changements structurels que par des évolutions des normes de genre. Deux facteurs principaux peuvent être identifiés : la réforme du bac professionnel en trois ans, qui a entraîné une baisse importante des effectifs dans la filière SAPAT (Services aux Personnes et aux Territoires), et le développement de l’apprentissage, qui reste un milieu majoritairement masculin. À titre d’exemple, 80 % des apprentis dans l’enseignement agricole sont des garçons.
Même lorsque les filles investissent des filières historiquement masculines, comme celles de la production agricole, elles rencontrent encore des obstacles importants. Parmi eux, la difficulté à trouver un maître de stage ou d’apprentissage reste très présente. Les professionnels, souvent porteurs de stéréotypes de genre, hésitent encore à accueillir des filles, alors même que ces dernières sont parfois plus avancées sur ces questions que les adultes. À l’inverse, les garçons inscrits dans des filières traditionnellement féminines, comme les services aux personnes, ne rencontrent pas ces obstacles. Au contraire, ils sont souvent valorisés et perçus comme exceptionnels.

Joachim BENET-RIVIERE :
Dans l’enseignement agricole, on retrouve ainsi les mêmes clivages observés dans l’enseignement professionnel : les filles, minoritaires dans des filières masculines, sont confrontées à une mise à l’épreuve constante de leurs compétences. À l’opposé, les garçons minoritaires dans des filières féminines bénéficient d’une valorisation systématique.
Cependant, il existe aussi des filières agricoles où la présence des filles est non seulement attendue, mais parfois encouragée. C’est le cas notamment dans les formations liées à l’équitation, où elles sont majoritaires, ou encore dans des domaines comme l’élevage ou la viticulture, où leur présence augmente progressivement. Cela étant dit, cette évolution s’accompagne de nouveaux stéréotypes. Par exemple, dans l’élevage, il est souvent supposé que les filles entretiennent une meilleure relation avec les animaux ou sont plus sensibles à leur bien-être, ce qui s’ancre dans une vision genrée de leur rôle social et familial. Bien que cela puisse apparaître comme une valorisation, cette perception contribue à naturaliser les différences entre les sexes.
Par ailleurs, l’enseignement agricole met en avant la valorisation de l’entrepreneuriat et de l’indépendance professionnelle, particulièrement dans les filières de production agricole. Or, cette orientation est souvent en décalage avec les aspirations des élèves, et notamment des filles, qui tendent davantage à se projeter dans des carrières salariées. Si certaines sont attirées par l’entrepreneuriat, elles rencontrent souvent des obstacles plus importants que leurs homologues masculins pour y accéder, notamment en raison des logiques persistantes de division sexuelle du travail.

SNETAP-FSU :
En dehors de ces représentations genrées, nous avons parlé des données relatives à la répartition filles-garçons. Quelles seraient selon vous, Madame DRIF-LAMIA, les autres inégalités persistantes dans l’enseignement agricole, au-delà des effets sociologiques liés aux stéréotypes de genre ?

Naïda DRIF-LAMIA :
Tout d’abord, je voudrais rappeler quelques chiffres sur cette rentrée 2024 : les filles représentent 44 % des effectifs, contre 56 % pour les garçons. Ces proportions restent relativement stables depuis une dizaine d’années.
Dans l’enseignement agricole, des efforts conséquents sont menés pour lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité. Cela inclut un plan de lutte contre les violences, lancé en 2018 et renouvelé pour 2025, qui cible spécifiquement les violences faites aux filles et aux femmes ainsi que le harcèlement scolaire. Une sensibilisation accrue est réalisée auprès des équipes éducatives, des personnels et des élèves, notamment via des appels à projets et des révisions des référentiels de formation. À l’échelle nationale, un référent dédié à l’égalité filles-garçons et à la lutte contre les discriminations coordonne ces initiatives, appuyé localement par des référents régionaux. Enfin, le label « égalité-diversité », déjà en place au ministère, est en cours d’élargissement aux établissements agricoles pour ancrer ces valeurs dans leur fonctionnement quotidien.

SNETAP-FSU  :
Quelles seraient les résistances à lever pour remplir tous les critères, quels sont les obstacles ? Parce que sont évoquées les choses qui sont déjà faites, mais je suppose qu’il y a quand même encore du chemin à parcourir, et les échanges qu’on a eus montrent qu’il y a des éléments sur lesquels il faut travailler.
Est-ce que ces éléments-là, ils sont déjà bien identifiés ou pas ? Côté ministère comme DGER DGER Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche .

Naïda DRIF-LAMIA :
Il reste du chemin à parcourir pour atteindre une réelle égalité dans l’enseignement agricole, malgré les actions déjà engagées. Une étude récente sur les filières genrées, présentée en janvier 2024, a permis d’identifier des inégalités persistantes et devrait conduire à une feuille de route mise en œuvre dès 2025. Parmi les leviers identifiés, la formation initiale et continue des personnels éducatifs est jugée essentielle. Les enseignants, personnels de direction et conseillers principaux d’éducation doivent être formés pour intégrer l’égalité filles-garçons dans leurs pratiques. Des modules obligatoires de formation et des ressources spécifiques, comme le guide sur les comportements sexistes et violents, sont mis à disposition. Par ailleurs, le ministère intensifie la prévention contre le harcèlement sexiste ou sexuel à travers des outils éducatifs, des campagnes de sensibilisation et des initiatives autour de la cyberviolence. Les établissements sont également mobilisés lors des journées internationales pour renforcer cette prise de conscience et soutenir les référents égalité.

SNETAP-FSU :
M. BENET RIVIERE, est-ce qu’il y a d’autres initiatives concrètes qui pourraient selon vous, contribuer justement à réduire les inégalités entre filles et garçons dans l’enseignement agricole ?

Joachim BENET-RIVIERE :
Il est difficile de mesurer les effets des dispositifs visant à réduire les inégalités de genre dans l’enseignement agricole. Bien que des actions aient été mises en place, leur évaluation nécessite un suivi à long terme, ce qui contraste avec la demande rapide d’expertise des politiques publiques. Une étude précédente menée par Sabrina DAHACHE sur les effets de ces dispositifs a montré la complexité pour comprendre l’impact réel, car cela nécessite du temps et une analyse des trajectoires socioprofessionnelles des filles et des garçons.
L’enseignement agricole accueille des élèves ayant déjà fait leurs choix d’orientation, ce qui réduit les possibilités d’action sur la mixité. Bien que des efforts aient été faits pour sensibiliser à l’égalité, il reste des obstacles, notamment en matière de formation des enseignants. La formation actuelle est trop axée sur la pédagogie et la didactique, sans intégrer assez les sciences sociales, comme la sociologie du genre et les inégalités sociales. Ce serait important de proposer une formation plus complète et obligatoire en sociologie du genre.
Cela devrait inclure les Maisons familiales rurales (MFR), où ces questions sont souvent négligées. La formation des adultes, souvent oubliée, est aussi cruciale, car les inégalités de genre existent aussi chez les adultes en formation. Un exemple concret est celui des espaces de non-mixité choisis, où les femmes agricultrices se forment plus efficacement dans des groupes de femmes, une pratique difficile à transposer dans les formations pour jeunes.
Il est également important de questionner pourquoi les garçons ne s’engagent pas dans les formations dominées par les filles. Mais cela reste un sujet complexe, surtout dans les formations liées aux services aux personnes, qui échappent au périmètre du ministère de l’Agriculture. Il est donc difficile d’intégrer ces formations dans une réflexion plus large sur les inégalités de genre.

SNETAP-FSU :
Je comprends, mais la filière service, ou tous les métiers liés au service, sont davantage associés à certaines représentations, ce qui fait qu’au niveau des ministères, cela est davantage pris en charge par l’Éducation nationale que par l’agriculture. Cela dit, nous avons nos spécificités, notamment concernant les territoires ruraux. Mais je comprends que c’est un sujet qui dépasse largement l’enseignement agricole.

Joachim BENET-RIVIERE :
Il y a en effet vraiment une approche agricole qui fait que cet aspect de la formation professionnelle lié aux services est moins pris en compte dans les discours et actions, car il relève d’un autre périmètre. D’ailleurs, on n’associe pas cette filière au ministère de l’Agriculture dans nos représentations.

Naïda DRIF-LAMIA :
L’objectif de l’étude sociologique était d’examiner quels sont les déterminants sociaux, conscients et inconscients, influençant les choix d’orientation des filles vers les filières genrées, comme le service à la personne, ou les garçons vers des filières comme l’agroéquipement ou la production agricole. Le focus a été mis sur ces facteurs qui agissent sur l’orientation.
Comme vous l’avez bien dit, ces influences viennent dès le plus jeune âge, c’est sociétal et culturel, et il faut vraiment déconstruire ces stéréotypes. Aujourd’hui, on en subit encore les conséquences, que ce soit dans nos établissements, dans les formations professionnelles ou à l’Éducation nationale, voire dans les écoles relevant du ministère des Armées.
Nous avons ce problème à traiter en interne, au sein des ministères. Il s’agit de casser ces stéréotypes. Pour le ministère de l’Agriculture, il est essentiel de former tout le monde, mais aussi de travailler avec les professionnels. Il faut aussi collaborer avec les associations du monde agricole et rural, comme la Chambre d’Agriculture de France, qui compte un tiers d’élus issus de la profession. Il faudrait aussi former les membres des conseils d’administration et inclure un axe sur l’égalité entre les sexes et la diversité dans les projets d’établissement.
Il y a des avancées, et un bon exemple est notre partenariat DGER avec l’association 100 000 entrepreneurs, qui fait venir des femmes chefs d’entreprise dans les lycées agricoles pour aider les jeunes à comprendre comment devenir chef d’entreprise en milieu agricole. Cette initiative a un effet levier positif pour les jeunes filles.
J’ai rencontré l’an dernier une association spécialisée dans les métiers du numérique, en collaboration avec l’Éducation nationale. L’objectif est d’inciter davantage de jeunes filles à s’orienter vers les nouvelles technologies. Dans l’agriculture de précision, par exemple, on utilise des machines agricoles high-tech. Former les jeunes filles au numérique et aux nouvelles technologies devient crucial. Nous envisageons un partenariat avec cette association pour qu’elle intervienne dans les classes et parle du numérique et des technologies.
Nous essayons d’inciter les jeunes filles à se tourner vers des formations en agroéquipement et en production agricole, surtout dans un contexte de renouvellement des générations. Actuellement, 25% des femmes sont chefs d’entreprise dans le secteur agricole. Dans ce contexte de renouvellement, l’idée est de faire avancer la lutte contre les stéréotypes et de montrer aux jeunes femmes qu’elles peuvent se diriger vers ces métiers autrefois perçus comme masculins. Il est aussi essentiel d’accompagner la profession agricole, les professionnels et les stages pour accueillir ces jeunes filles. Dans ma feuille de route, j’ai inclu un travail sur l’équipement adapté pour les jeunes filles en stage, en tenant compte de leur morphologie.

Joachim BENET-RIVIERE :
Il serait intéressant de se pencher sur la manière dont l’organisation, le management et la culture de l’établissement contribuent à reproduire des inégalités parmi les personnels. Personnellement, je n’ai pas de pistes concrètes à ce sujet.
Cependant, ce que j’ai observé dans les MFR, c’est la présence d’une culture patriarcale. Cela soulève également la question de la démocratie dans le fonctionnement des établissements. Mais c’est peut-être un domaine où vous avez plus d’expertise que moi.
Au-delà de la question du genre, la véritable question est de savoir comment assurer que les hommes et les femmes soient pleinement reconnus au sein de leur établissement et se sentent valorisés dans leur institution. Cela concerne aussi bien les hommes que les femmes. Néanmoins, il est intéressant de noter que les études montrent que ce sont souvent les femmes chefs d’établissement qui prêtent davantage attention à la question de la gouvernance de l’établissement, notamment en ce qui concerne l’égalité et la prise en compte de tous les points de vue.

SNETAP-FSU : 
Est-ce que avec le sujet des programmes scolaires, des manuels et des horaires dédiés, on n’a pas un des aspects sur lesquels il faudrait travailler prioritairement ? Et si ce n’est pas celui-là, auquel est-ce que vous penseriez, si vous en aviez un seul à citer prioritairement, sur lequel nous devons agir assez rapidement mais également pour le plus long terme ?

Joachim BENET-RIVIERE :

Je n’ai pas une maîtrise des programmes comme vous, mais ce que j’ai constaté concernant l’éducation socioculturelle, c’est qu’il y a d’importantes différences en fonction des filières, notamment en termes de temps consacré à cette discipline. Par exemple, dans la filière agroéquipement en bac pro, les élèves n’avaient qu’une heure d’éducation socioculturelle par semaine, tandis que dans d’autres filières comme SAPAT ou GMNF, les élèves avaient beaucoup plus de temps pour cette matière.

Cette différence s’explique en partie par le fait que l’éducation socioculturelle a pris un caractère professionnel dans ces filières-là, mais cela m’a interpellé sur la place de cette discipline dans les différentes filières. En effet, si une filière n’accorde qu’une heure d’éducation socioculturelle par semaine, et une autre en accorde cinq ou six, cela peut avoir un impact sur les questions de genre. Je me suis demandé si les filières majoritairement masculines n’étaient pas celles qui bénéficiaient de moins de temps d’éducation socioculturelle.
Je n’ai pas de réponse définitive à cette question. Concernant les manuels scolaires, j’avais initialement l’intention de voir comment ces manuels, dans l’enseignement agricole, véhiculaient des normes de genre. Mais je n’ai pas trouvé de réponse évidente. Lors de mes recherches à la bibliothèque de l’ENSFEA, je n’ai pas trouvé de manuels scolaires, du moins pas ceux qui représentaient le genre de manière notable. Il existait des manuels très techniques, mais sans véritable représentation des filles ou des garçons. Cela m’a poussé à me demander si les enseignants utilisaient vraiment ces manuels.

En discutant avec des enseignants, il m’est apparu qu’ils se tournaient davantage vers des documents techniques, sans réelle représentation de genre. Ce phénomène semble aussi être répandu dans l’enseignement professionnel en général. Pourtant, dans d’autres matières comme les mathématiques, notamment au collège, les manuels incluent souvent des portraits de mathématiciens, sans mentionner le rôle des femmes dans l’histoire des mathématiques.
Je me suis interrogé sur l’impact de cette absence de figures féminines historiques. Est-ce que le fait de ne pas voir de femmes mathématiciennes dans les manuels influence la projection des filles dans les études de mathématiques, par exemple ? Certes, déconstruire cette absence semble essentiel, mais je me demande si cela a un réel effet sur les élèves de l’enseignement agricole. Beaucoup d’entre eux sont déjà distants par rapport à l’école, et considèrent que c’est par la formation pratique, et non scolaire, qu’ils apprennent leur métier.
Je pense qu’ils sont critiques face aux modèles qui pourraient leur être transmis, notamment à travers les écrits des enseignants. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas travailler sur cette question de genre dans les manuels, mais je crois que cet enjeu relève davantage du symbolique, plutôt que d’avoir un véritable impact sur les parcours des élèves.

Naïda DRIF-LAMIA :
Je voudrais évoquer la charte initiée par le ministère de l’Éducation nationale, sous l’impulsion de la Haute fonctionnaire Claude ROIRON, en collaboration avec le ministère de la Culture. Les Hautes fonctionnaires en charge estimaient qu’il était essentiel d’agir sur les manuels scolaires, dès le primaire, à travers les maisons d’édition. Cette démarche a convaincu plusieurs ministères, y compris celui de l’Agriculture.
Nous avons donc travaillé avec Éducagri, notre maison d’édition, ainsi qu’avec les maisons d’édition des ouvrages scolaires pour l’enseignement agricole. Je pense que cette initiative est importante.
L’objectif est de favoriser une représentation équilibrée des femmes et des hommes, de rendre les femmes plus visibles dans le domaine des savoirs, de présenter les femmes et les hommes de manière non sexiste et de veiller à ce que les mises en situation ne renforcent pas les stéréotypes. Il s’agit également d’utiliser un langage égalitaire dans tous les manuels scolaires.

SNETAP-FSU :
Est-ce qu’il y a des axes à développer dans les années futures ou encore un sujet plus global concernant l’avenir et la manière dont les acteurs de l’enseignement agricole pourraient aborder la question de l’égalité entre filles et garçons ?

Naïda DRIF-LAMIA :
Je pense qu’il y a plusieurs axes d’amélioration. D’abord, sur les conclusions de l’étude sociologique menée dans nos ateliers à l’ENSFEA, un axe important porte sur les représentations des métiers et l’orientation vers l’enseignement agricole. Il est crucial de travailler sur la communication en dégenrant la promotion des filières agricoles. Il faut notamment répondre aux ambitions professionnelles des jeunes filles. Tout le travail d’orientation et de passerelles est essentiel.
Ensuite, il faut collaborer avec les organisations professionnelles pour améliorer la représentation des métiers et l’accueil des stagiaires. Il y a un gros travail à faire sur le terrain, avec des actions de sensibilisation auprès des professionnels et des équipes pédagogiques. Il est aussi important d’intégrer la notion d’égalité dans les conventions de stage, avec des mesures spécifiques pour l’égalité filles-garçons dans la formation.
Un autre axe majeur est de renforcer la visibilité de l’enseignement agricole et de revaloriser son image. C’est un enjeu clé, d’autant plus qu’il s’agit aussi de déconstruire les stéréotypes de genre, notamment en travaillant avec le ministère de l’Éducation nationale et l’ONICEP, pour promouvoir l’enseignement agricole dès le primaire, accessible à tous.
Il y a aussi un travail à faire autour des espaces-temps dans les établissements agricoles, les lieux d’émancipation. Cela inclut des temps de réflexion sur l’orientation et des moments spécifiques pour renforcer la confiance des filles dans leurs capacités. Il faut aussi poursuivre la déconstruction des stéréotypes de genre, de la question LGBT et lutter contre les discriminations, tant en classe qu’en dehors.
Il est essentiel de renforcer la visibilité des établissements agricoles et de positionner les pratiques sportives comme un vecteur d’égalité. Ce sont des aspects qu’il serait important de valoriser au sein des établissements.
Un autre axe important serait l’accompagnement des acteurs du système de formation vers de nouveaux modèles. Cela inclut la formation des personnels et des inspecteurs agricoles. Je vois aussi un travail à faire sur la formation inter-statuts et inter-métiers, notamment sur l’histoire des métiers, pour améliorer la projection des jeunes dans ces métiers.
Enfin, il faut renforcer la politique des établissements en matière d’égalité et de diversité, en intégrant cette question dans le projet d’établissement et en prenant des mesures concrètes pour promouvoir l’égalité dans toutes les dimensions de la vie scolaire.
Un dernier axe important est le dépassement des stéréotypes au profit des transitions dans le monde agricole. Cela inclut l’inclusion de l’égalité dans l’évolution des pratiques agricoles et des projets de recherche. Il faut encourager les jeunes filles à s’impliquer dans la révolution numérique et digitale du secteur agricole. Cela pourrait passer par des équipements spécifiques pour les femmes et par la création de crédits spécifiques dans les projets agricoles intégrant la question de l’égalité.
Je propose aussi la création de programmes de mobilité, comme un Erasmus régional, avec l’obligation d’un stage en dehors de la région d’origine des étudiants. Cela permettrait de diffuser la notion d’égalité et de casser les stéréotypes de genre sur l’ensemble du territoire.
Enfin, il est crucial de renforcer l’entrepreneuriat agricole féminin. C’est un sujet que je défends au salon de l’agriculture, en mettant en avant des agricultrices issues de nos établissements agricoles, qui partagent leur parcours, souvent difficile, pour arriver à l’entrepreneuriat. Il est essentiel de soutenir ces initiatives, même si de nombreux obstacles existent, comme l’accès à la terre, aux prêts bancaires et les limites d’âge pour les jeunes agriculteurs. Toutefois, je constate des avancées positives, surtout avec la loi d’orientation agricole qui inclut désormais des mesures en faveur des femmes, comme des dispositifs pour soutenir l’entrepreneuriat féminin dans le secteur. Un amendement est même en préparation pour l’intégrer à cette loi.

SNETAP-FSU :
M. BENET-RIVIERE, un petit mot pour conclure ?

Joachim BENET-RIVIERE :
Ce n’est pas vraiment mon domaine d’intervention, ni mon expertise, mon rôle se limite plutôt à l’analyse. Mais ce qui m’intéresse, c’est que nous sommes dans un contexte de crise et de renouvellement, avec la majorité des chefs d’exploitation actuels qui vont partir à la retraite dans les prochaines années. C’est un moment historique et cela pourrait être une occasion de faire progresser la part des femmes dans l’agriculture, car aujourd’hui, elles restent minoritaires. Ce que l’on constate depuis les années 80, c’est qu’il n’y a pas eu une véritable augmentation du nombre de femmes exploitantes agricoles. C’est pourquoi je pense que le départ à la retraite de ces chefs d’exploitation peut être une opportunité pour renforcer la place des femmes dans ce secteur.
…………………………………………….

* Joachim BENET-RIVIERE est chercheur post-doctoral associé au Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines (GRESCO), auteur de plusieurs publications sur l’enseignement agricole technique et les rapports de genre.

*Sabrina DAHACHE est enseignante-chercheuse à l’Université de Toulouse 2 Le Mirail, docteure en sociologie. Ses recherches portent sur les dynamiques du genre dans les formations professionnelles et les professions agricoles et rurales.